Protéger les libertés publiques pendant l’épidémie liée au coronavirus

ÉDITORIAL

Le Monde

Editorial. L’état d’urgence sanitaire, que le gouvernement souhaite prolonger jusqu’au 24 juillet, ne doit pas compenser la peur de la contamination par un excès de mesures autoritaires.

Vérification de l’attestation de déplacement d’un homme à Clichy (Hauts-de-Seine), le 28 avril 2020.Vérification de l’attestation de déplacement d’un homme à Clichy (Hauts-de-Seine), le 28 avril 2020. Laurence Geai pour "Le Monde"

Editorial du « Monde ». Si le Parlement, comme on peut s’y attendre, adopte dans les jours à venir le projet de loi de prolongation de l’état d’urgence sanitaire, l’état d’exception qui régit la vie des Français depuis le 23 mars continuera à s’imposer jusqu’au 24 juillet. Au terme de ces quatre mois, il pourra de nouveau être reconduit pour deux mois si l’épidémie de Covid-19 l’exige, sous réserve de l’approbation de la représentation nationale.

Face à une urgence sanitaire d’une telle ampleur, il y avait une logique à ce que le gouvernement se dote de pouvoirs exceptionnels, afin d’organiser la lutte contre le virus. Les Français et leurs élus l’ont compris ; ils se sont pliés aux contraintes qu’imposait cet effort, à commencer par la plus grave d’entre elles, la suspension, sans précédent en temps de paix, de la liberté d’aller et de venir, avec le confinement généralisé.

Mais le propre de l’état d’urgence est de ne pas être permanent. Si le niveau de circulation du virus justifie qu’on le prolonge, il est impératif que ses dispositions soient allégées dans toute la mesure du possible, en particulier l’usage de la contrainte et les restrictions apportées aux libertés fondamentales. Le président de la République et le premier ministre paraissaient d’ailleurs tous deux vouloir s’engager dans cette voie, chacun affirmant son intention, lors de leurs dernières interventions, de faire confiance à la responsabilité individuelle des Français.

Dispersion de données personnelles

Pourtant, le projet de loi présenté, samedi 2 mai, en conseil des ministres et soumis lundi à la commission des lois du Sénat propose, pour accompagner la phase de déconfinement, de nouvelles mesures peu respectueuses des libertés. Ainsi, « la liste des personnes habilitées à constater les infractions aux règles de l’état d’urgence sanitaire », selon les explications du ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, pourra être élargie, conférant par exemple aux agents de sécurité des transports le pouvoir de sanctionner des usagers qui ne porteraient pas de masque.

Le gouvernement a opportunément retiré du texte initial une disposition qui prévoyait l’isolement obligatoire des personnes dont le résultat du test est positif. Mais la mesure la plus préoccupante porte sur la création de fichiers supposés favoriser le traçage des personnes avec lesquelles un patient dont le test est positif au Covid-19 a été en contact.

L’objectif de ce traçage est clair : il s’agit de rompre la chaîne de transmission du virus en identifiant et en testant dans les meilleurs délais les personnes susceptibles d’avoir été contaminées par un contact avec une personne dont le test est positif. L’instrument le plus approprié pour cela, en plus des tests, est une application numérique, que plusieurs autres pays européens, dont l’Allemagne, pourtant très sourcilleuse sur la protection des données personnelles, s’apprêtent à mettre en service. La France l’a baptisée StopCovid, mais, en attendant qu’elle soit opérationnelle et qu’elle reçoive le feu vert du Parlement, un mode de traçage humain a été établi à plusieurs niveaux, chacun aboutissant à la dispersion de données personnelles dans les méandres de la bureaucratie du système de santé publique.

La peur de la contamination, très sensible dans la société, ne saurait être compensée par un excès de mesures autoritaires. Il appartient donc aux parlementaires d’examiner toutes ces dispositions avec vigilance et discernement et de saisir, en cas de doute, le Conseil constitutionnel, protecteur des droits fondamentaux et garant de la Constitution.

Le Monde