Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 mai 2018), M. A... et Mme P... ont créé la société Couleurs et chocolats et conclu, tant en leur nom personnel qu'en celui de cette société, alors en formation, un contrat de franchise avec la société C..., qui développe un réseau de magasins de vente de chocolats au détail, par le truchement de succursales et de franchisés.

2. Le 2 septembre 2014, la société Couleurs et chocolats a été mise en liquidation judiciaire et M. R..., désigné en qualité de mandataire liquidateur.

3. Celui-ci, ainsi que M. A... et Mme P..., ont assigné la société C... en annulation du contrat de franchise, pour vice du consentement, et en paiement de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et quatrième branches, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

5. La société C... fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité du contrat de franchise pour erreur alors :

« 1°/ que l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle porte sur les qualités substantielles de la chose, c'est-à-dire celles en considération desquelles les parties ont contracté ; que pour prononcer la nullité du contrat de franchise pour erreur, l'arrêt se borne à retenir que les comptes prévisionnels, élaborés sur la base des informations fournies par le franchiseur et par le franchisé, se sont révélés exagérément optimistes, que lesdits comptes ont provoqué dans l'esprit des cocontractants, novices dans le secteur économique concerné, une erreur sur la rentabilité de leur activité et que les chiffres prévisionnels, qui se sont avérés très éloignés des chiffres d'affaires réalisés par la société Couleurs et chocolats SARL, étaient déterminants pour le consentement éclairé du franchisé et portaient sur la substance même du contrat de franchise, pour lequel l'espérance de gain était déterminante ; qu'en se prononçant ainsi sans s'expliquer, comme elle y était invité, sur les stipulations du contrat aux termes desquelles le franchisé déclarait, d'une part, avoir conscience de ce que les données communiquées ne permettaient d'élaborer que des hypothèses chiffrées sans garantie de résultat et, d'autre part, qu'un décalage même important entre ses réalisations effectives et les estimations prévisionnelles ne pourrait constituer un motif de remise en cause de son engagement contractuel, ce qui excluait que les comptes prévisionnels aient pu constituer un élément déterminant de son consentement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1109 et 1110 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ que l'erreur sur les qualités substantielles, qui est une cause de nullité du contrat pour vice du consentement, ne saurait s'induire de l'inexécution ou de la mauvaise exécution d'une obligation née du contrat ; que pour prononcer la nullité du contrat de franchise pour erreur, l'arrêt retient que l'article 4.5.2 du contrat de franchise stipulait que le franchiseur devait assister le franchisé dans la recherche et la négociation d'un local et le conseiller dans la localisation de son magasin, que c'est le franchiseur qui a validé l'emplacement et négocié les conditions du bail, que ce dernier s'est révélé inadapté, la superficie étant trop vaste et les loyers trop élevés, qu'en outre, le local manquait de visibilité et était situé dans une galerie commerciale dont la fréquentation baissait, que si ces éléments n'induisent pas en soi un vice de consentement, l'inadaptation de l'emplacement, la trop grande superficie des locaux et le caractère excessif du loyer, trop élevé pour garantir aux franchisés un taux de rentabilité minimale, constituent des manquements aux obligations de conseil du franchiseur prévues au contrat et que ces manquement renforcent la portée des informations erronées sur les prévisionnels et de l'absence d'état du marché local, dans la mesure où le coût du bail représente une donnée essentielle en considération de laquelle le franchisé a élaboré son projet d'installation, les éléments relevés étant aussi déterminants pour le consentement du franchisé puisqu'ils portent sur la substance même du contrat de franchise, pour lequel l'espérance de gain est déterminante ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a tiré argument de la mauvaise exécution d'une obligation contractuelle du franchiseur pour établir l'absence d'une condition de formation du contrat litigieux, en violation des articles 1109 et 1110 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

6. Après avoir énoncé que, lorsque le franchiseur, qui n'est pas légalement tenu de le faire, remet au franchisé un compte d'exploitation prévisionnel, ce document doit être sincère et vérifiable, l'arrêt retient que les comptes provisionnels, élaborés sur la base de données erronées et non significatives communiquées par la société C... sans qu'elle en ait vérifié la cohérence, se sont révélés exagérément optimistes et que l'écart entre ces prévisions et les chiffres réalisés a dépassé la marge d'erreur inhérente à toute donnée prévisionnelle, sans que les mauvais chiffres constatés puissent être imputés au franchisé.

7. Ayant souverainement déduit de ces énonciations, constatations et appréciations que ces prévisions avaient provoqué, dans l'esprit des cocontractants, novices dans le secteur économique concerné, une erreur sur la rentabilité de leur activité, portant sur la substance même du contrat de franchise, pour lequel l'espérance de gain est déterminante, et que c'est en raison de cette erreur déterminante que le franchisé avait été conduit à conclure le contrat litigieux, la cour d'appel n'était pas tenue d'analyser la portée des stipulations de ce contrat, selon lesquelles le franchisé déclarait, d'une part, avoir conscience de ce que les données communiquées ne permettaient d'élaborer que des hypothèses chiffrées sans garantie de résultat et, d'autre part, qu'un décalage, même important, entre ses réalisations effectives et les estimations prévisionnelles ne pourrait constituer un motif de remise en cause de son engagement contractuel.

8. L'arrêt retient ensuite que le franchiseur, tenu d'assister le franchisé dans la recherche et la négociation d'un local, en application de l'article 4.5.2 du contrat de franchise, a validé l'emplacement choisi par le franchisé et négocié les conditions du bail, qui s'est avéré inadapté en raison d'une superficie trop vaste et d'un loyer excessif, rendant l'affaire du franchisé non viable.

9. L'arrêt en déduit que ces éléments, s'ils n'induisent pas en soi un vice de consentement du franchisé, non seulement démontrent les manquements du franchiseur à ses obligations de conseil mais, en outre, renforcent la portée des informations erronées sur les prévisionnels et les conséquences de l'absence d'état du marché local puisque le coût du bail représente une donnée essentielle en considération de laquelle le franchisé a élaboré son projet d'installation.

10. En cet état, la cour d'appel a pu retenir que l'inadaptation de l'emplacement, la trop grande superficie des locaux et le caractère excessif du loyer, trop élevé pour garantir aux franchisés un taux de rentabilité minimale, ont été également déterminants pour le consentement du franchisé et portaient sur la substance même du contrat de franchise, pour lequel l'espérance de gain est déterminante.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

12. La société C... fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. R..., ès qualités, la somme de 18 000 euros à titre de restitutions, avec intérêts majorés au taux légal à compter du 1er décembre 2014, alors « que la censure qui sera prononcée du chef du dispositif de l'arrêt critiqué par le premier moyen, qui est le soutien indispensable des dispositions querellées par le deuxième moyen, entraînera par voie de conséquence la cassation de la partie du dispositif se rapportant à la condamnation de la société C... à payer une certaine somme à M. R..., ès qualités de liquidateur de la société Couleurs et chocolats au titre des restitutions, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

13. Le rejet du premier moyen rend sans portée le grief du deuxième moyen.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

14. La société C... fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. R..., ès qualités, la somme de 153 000 euros à titre de dommages-intérêts, majorée des intérêts, et à M. A... et Mme P... la somme de 2 000 euros chacun pour préjudice moral alors « que dans ses conclusions d'appel, la société C... faisait valoir, à titre subsidiaire, que l'évaluation du préjudice prétendument lié à la perte des investissements supposait que soit déduit le montant des dépenses amorties comptablement ; qu'en négligeant de répondre à ce moyen pertinent, de nature à minimiser la réparation du dommage résultant de la perte de chance, qui correspond à une fraction des différents chefs de préjudice subis déterminée en mesurant la chance perdue, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences des articles 455 et 458 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

15. Après avoir relevé que la faute de la société C..., à l'origine de l'erreur commise par la société Couleurs et chocolats quant à la rentabilité de son entreprise, avait eu pour conséquence que celle-ci avait engagé, en pure perte, des investissements destinés à lui permettre d'ouvrir le magasin, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a fixé le préjudice de la société Couleurs et chocolats à la somme en principal de 153 000 euros, sans être tenue de répondre au moyen, inopérant, de la société C... relatif à l'amortissement fiscal ou comptable dont ces investissements avaient pu faire l'objet, qui n'a pas eu pour effet de réduire l'incidence financière de leur perte.

16. En outre, le motif par lequel la cour d'appel a considéré que M. A... et Mme P... avaient subi un préjudice moral n'est pas remis en cause, justifiant sa réparation à hauteur de la somme de 2 000 euros chacun.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

18. La société C... fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. A... et Mme P... la somme de 53 260 euros chacun à titre de dommages-intérêts, majorée des intérêts, alors « que dans ses conclusions d'appel, elle faisait valoir que l'indemnisation de M. A... et Mme P... au titre de la perte de leurs apports aboutirait à réparer deux fois le même dommage, puisque leurs apports avaient servi à payer les investissements au titre desquels la société Couleurs et chocolats sollicitait déjà le bénéfice d'une indemnisation ; qu'en négligeant de répondre à ce moyen pertinent, de nature à justifier le refus d'indemniser l'un des chefs de préjudice allégués par M. A... et Mme P..., la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences des articles 455 et 458 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

19. Il résulte de ce texte que les juges , sans être tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, doivent répondre aux conclusions opérantes dont ils sont saisis.

20.Pour condamner la société C... à payer des dommages-intérêts à M. A... et à Mme P..., en réparation du préjudice, qu'ils soutenaient être personnel et distinct, que leur avait causé le manquement du franchiseur à son obligation pré-contractuelle d'information, l'arrêt retient qu'il résulte du bilan 2013 et du rapport de l'administrateur judiciaire que ces personnes ont, chacune, apporté à la société Couleurs et chocolats en compte-courant la somme de 59 179 euros, que, mieux informés, ils n'auraient pas engagé ces apports et qu'il convient de les indemniser de leur perte de chance de ne pas contracter, que la cour évalue à 53 260 euros chacun.

21.En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société C... qui soutenait que les pertes alléguées par M. A... et Mme P... correspondaient à celles dont la société qu'ils avaient créée demandait déjà réparation, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société C... à payer à M. A... et à Mme P... la somme de 53 260 euros chacun à titre de dommages-intérêts, outre intérêts au taux légal à compter du 1er décembre 2014, lesdits intérêts capitalisés, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 23 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société C... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société C... et par M. A... et Mme P... et condamne la société C... à payer à M. R..., en qualité de liquidateur judiciaire de la société Couleurs et chocolats, la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;