CONSEIL D'ETAT statuant au contentieux Ordonnance du 18 avril 2020 N° 440012
FEDERATION DES TRAVAILLEURS DE LA METALLURGIE CGT (FTM-CGT)
LE JUGE DES RÉFÉRÉS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 et 15 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT (FTM-CGT) demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d’enjoindre à l’Etat de dresser la liste, par secteurs d’activités, des entreprises de la métallurgie essentielles à la Nation, éventuellement sur la base de la liste des secteurs d’importance vitale identifiés par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale ;
2°) d’enjoindre à l’Etat de renforcer les mesures de confinement en ordonnant la fermeture des entreprises métallurgiques non essentielles à la Nation ;
3°) d’enjoindre à l’Etat de prendre des mesures spécifiques de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs qui continuent à travailler au sein des entreprises essentielles à la Nation : mise à disposition de vingt masques chirurgicaux par salarié et par semaine ainsi que de solution hydro-alcoolique, réalisation de tests biologiques par les services de santé au travail, création d’une obligation spécifique pour l’employeur d’appliquer et de faire respecter les mesures d’hygiène et de mettre en conformité les locaux et les postes de travail pour assurer le respect des gestes barrière, instauration d’un contrôle spécifique des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) de l’application des règles de sécurité en matière de covid-19, mise en place d’une procédure de conduite à tenir vis-à-vis d’un collaborateur présentant des symptômes de la maladie ;
4°) déclarer irrecevable l’intervention en défense de l’Union des industries et métiers de la métallurgie ;
5°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
-elle justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour agir ;
- l’intervention en défense de l’Union des industries et métiers de la métallurgie est irrecevable pour avoir été présentée avant le mémoire en défense ;
- la condition d’urgence est remplie eu égard à l’ampleur de l’épidémie et à la nécessité de prendre sans délai des mesures protectrices pour les salariés de la métallurgie ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et au droit à la santé;
- si le ministère du travail a affirmé la responsabilité des employeurs au titre de leur obligation de sécurité, mais sans donner de consignes spécifiques hormis le respect des gestes barrière, il n’a élaboré aucune fiche conseil pour le travail dans l’industrie et le guide élaboré par l’Union des industries et métiers de la métallurgie est d’application difficile, tandis que l’accès aux masques n’est pas assuré, de sorte qu’aucune obligation spécifique n’a été élaborée pour assurer la protection des salariés de la métallurgie ;
- aucun moyen complémentaire n’a été accordé aux DIRECCTE pour vérifier systématiquement l’application des gestes barrière ;
- les institutions représentatives du personnel sont dans l’incapacité d’exercer leur rôle d’alerte ;
- la violation des libertés fondamentales invoquées s’accompagne d’une rupture de l’égalité entre les salariés selon qu’ils peuvent ou non recourir au télétravail ;
- il est indispensable que soit dressée une liste des entreprises de la métallurgie essentielles à la Nation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 avril 2020, et un mémoire rectificatif, enregistré le 15 avril, le ministre des solidarités et de la santé et la ministre du travail concluent au rejet de la requête.
Ils soutiennent que :
- aucune carence grave et manifestement illégale n’est caractérisée, s’agissant de la fixation d’une liste des entreprises de la métallurgie essentielles à la vie de la Nation ;
- tant la réglementation applicable en situation de droit commun, qui fait peser sur l’employeur la responsabilité de la mise en œuvre des mesures de protection de la santé et de la sécurité de leurs salariés, que les adaptations qui y sont apportées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire et les fiches-conseils diffusées par le ministère du travail, constituent un ensemble de mesures suffisantes et adaptées ;
- la demande de mise à disposition de vingt masques par salarié et par semaine n’est pas étayée ;
- une instruction a été adressée aux DIRECCTE et aux inspecteurs du travail, le fonctionnement des services de santé au travail a été adapté à l’épidémie, ces derniers se voyant reconnaître des missions spécifiques par l’ordonnance du 1er avril 2020 adaptant les conditions d’exercice des missions des services de santé au travail à l’urgence sanitaire et modifiant le régime des demandes préalables d’autorisation d’activité partielle ;
- les DIRECCTE ont reçu des instructions spécifiques, qu’ils ont déjà mises en œuvre et l’inspection du travail a la possibilité de saisir le juge judiciaire statuant en référé.
Par un mémoire en intervention et un mémoire, enregistrés les 13 et 14 avril 2020, l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) conclut au rejet des conclusions de la requête et demande de mettre à la charge de la FTM-CGT la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable, car son auteur n’a pas qualité pour demander au juge des référés du Conseil d’Etat d’enjoindre une mesure de police ;
- le juge des référés du Conseil d’Etat n’est pas compétent pour ordonner les mesures sollicitées par la FTM-CGT, et en particulier celles consistant à enjoindre à l’Etat, en premier lieu, de dresser une liste, par secteurs d’activités, des entreprises de la métallurgie essentielles à la Nation, et, en second lieu, de renforcer les mesures de confinement en ordonnant la fermeture des autres entreprises de la métallurgie, car il ne lui revient pas de remettre en cause l’arbitrage fait par l’administration, sur habilitation du législateur, entre la politique sanitaire et la politique économique et sociale ;
- il est impossible de distinguer, au sein de la métallurgie, ce qui est vital et ce qui ne le serait pas ;
- une interdiction générale est interdite par principe au pouvoir de police générale ou spéciale, car elle est par essence disproportionnée au but poursuivi ;
- les conclusions de la FTM-CGT tendant à ce qu’il soit enjoint à l’Etat de prendre des mesures spécifiques de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, adaptées au risque épidémique, sont sans objet, dès lors que l’Etat et les entreprises mettent déjà tout en œuvre pour assurer la sécurité des travailleurs, et qu’en toute hypothèse il faut tenir compte des moyens dont dispose l’administration ;
- il n’est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, dès lors notamment que les mesures prises par le Premier ministre tendent à assurer la conciliation entre, d’une part, le droit à la vie et le droit à la santé et, d’autre part, la liberté d’entreprendre et le droit de travailler ;
- le principe d’égalité ne constitue pas une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ;
- les moyens de la requête sont infondés eu égard aux diligences accomplies par l’administration, notamment pour diffuser des conseils, à l’action de la médecine du travail et de l’inspection du travail, ainsi qu’à l’élaboration par l’UIMM d’un guide sur les mesures de protection à prendre décliné localement et dans les entreprises.
La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre de l’économie et des finances qui n’ont pas produit d’observations.
Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT et, d’autre part, le Premier ministre, la ministre du travail, le ministre des solidarités et de la santé et l’Union des industries et métiers de la métallurgie ;
Ont été entendus lors de l’audience publique du 14 avril 2020, à 14 heures :
- Me Coudray, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT ;
- le représentant de la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT ;
- les représentants du ministre des solidarités et de la santé et de la ministre du travail ;
- Me Gatineau, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de l’Union des industries et métiers de la métallurgie ;
à l’issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l’instruction au 16 avril à 18 heures puis au 17 avril à 15 heures.
Des observations complémentaires ont été présentées après l’audience par la FTM-CGT, qui fait valoir que le projet de décret pris en application de l’article 2 de l’ordonnance du 1er avril 2020 n’est qu’à l’état de projet, qu’il est prévu que ses dispositions ne s’appliquent que jusqu’au 31 mai 2020 et qu’il ne prévoit pas de modalités d’application s’agissant de la réalisation de tests de dépistage.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
-la Constitution, et notamment son préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- l’ordonnance n° 2020-386 du 1er avril 2020 ;
-le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l’article L. 511-1 du code de justice administrative : « Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n’est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais ». Aux termes de l’article L. 521-2 de ce code : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».
Sur l’intervention de l’Union des industries et métiers de la métallurgie :
2. L’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) a intérêt au rejet de la requête et les ministres chargés de la santé et du travail ont produit un mémoire en défense. Son intervention doit par suite être admise.
Sur les circonstances :
3. L’émergence d’un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d’établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l’accueil des enfants dans les établissements les recevant et des élèves et étudiants dans les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l’épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d’exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d’être ordonnées par le représentant de l’Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par plusieurs arrêtés successifs.
4. Par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, a été déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l’ensemble du territoire national. Par un nouveau décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, plusieurs fois modifié et complété depuis lors, le Premier ministre a réitéré les mesures qu’il avait précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Leurs effets ont été prolongés en dernier lieu par décret du 14 avril 2020.
Sur l’office du juge des référés :
5. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521-2 du code de justice administrative qu’il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l’action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu’existe une situation d’urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai et qu’il est possible de prendre utilement de telles mesures. Celles-ci doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le caractère manifestement illégal de l’atteinte doit s’apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises.
6. Pour l’application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le droit au respect de la vie et le droit à la protection de la santé constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de cet article. En revanche, la méconnaissance du principe d’égalité ne saurait révéler, par elle-même, une atteinte à une liberté fondamentale au sens de cet article.
Sur la demande en référé :
7. La Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT (FTM-CGT) soutient que les mesures prises par l’Etat dans le cadre de l’épidémie de covid-19 sont insuffisantes pour assurer la protection des salariés de la métallurgie. Pour qu’il soit remédié à cette situation elle demande au juge des référés du Conseil d’Etat d’enjoindre à l’Etat, d’une part, de dresser la liste, par secteurs d’activités, des entreprises de la métallurgie essentielles à la Nation, le départ entre les entreprises selon leur degré d’implication dans les activités essentielles à la Nation étant à ses yeux parfaitement réalisable, et d’ordonner la fermeture des entreprises métallurgiques non essentielles à la Nation, d’autre part, de prendre des mesures spécifiques de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs qui continueront à travailler au sein des entreprises essentielles à la Nation, tant en termes de matériels de protection et de tests à réaliser par les services de santé au travail, qu’en termes d’instructions strictes aux employeurs et de moyens de contrôle du respect de ces instructions.
8. Aux termes de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 : « Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : (…) 5° Ordonner la fermeture provisoire d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, à l'exception des établissements fournissant des biens ou des services de première nécessité ; (…) 10° En tant que de besoin, prendre par décret toute autre mesure réglementaire limitant la liberté d'entreprendre, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l'article L. 3131-12 du présent code. / Les mesures prescrites en application des 1° à 10° du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu ». Aux termes de l’article 2 du décret modifié du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire : « Afin de ralentir la propagation du virus, les mesures d'hygiène et de distanciation sociale, dites « barrières », définies au niveau national, doivent être observées en tout lieu et en toute circonstance ». Aux termes de l’article 3 du même décret : « I. - Jusqu'au 11 mai 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile est interdit à l'exception des déplacements pour les motifs suivants en évitant tout regroupement de personnes : 1° Trajets entre le domicile et le ou les lieux d'exercice de l'activité professionnelle ». Par ailleurs, son article 8 énumère les établissements et entreprises qui ne sont plus habilités à accueillir du public.
9. Par ailleurs, en vertu des dispositions de l’article L. 4121-1 du code du travail: « L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. / Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ; 2° Des actions d'information et de formation ; 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. / L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ».
10. Il résulte de l’instruction que pour répondre à l’objectif de sauvegarde de la santé publique dans les circonstances actuelles, tout en tenant compte de l’exigence de continuité des activités professionnelles essentielles ne pouvant faire l’objet de télétravail, le gouvernement a choisi, dans le cadre des dispositions, citées au point 8, de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, qui autorisent la limitation de la liberté d’entreprendre de façon strictement proportionnée aux risques sanitaires, de ne pas interdire la poursuite de l’activité des entreprises, notamment de la métallurgie, autres que celles énumérées à l’article 8 du décret du 23 mars 2020. Il résulte des déclarations faites à l’audience que ce choix est motivé par l’analyse de ce qu’un confinement total n’est pas nécessaire pour combattre l’épidémie, le confinement dans sa forme actuel commençant d’ailleurs à produire des effets positifs, par l’extrême difficulté de faire le départ, dans un tissu industriel où les activités sont étroitement intriquées, entre les entreprises dont la poursuite d’activité est indispensable dans la situation actuelle et celles dont la poursuite d’activité est directement ou indirectement nécessaire à ces dernières, mais également par la nécessité de ne pas se livrer à un tel exercice dans le court terme, certaines entreprises dont l’activité ne serait peut-être pas essentielle pendant la période actuelle pouvant devenir indispensables dès le début de la période de sortie progressive du confinement. Enfin, cette poursuite d’activité s’inscrit dans le cadre de l’obligation, qui repose aussi sur les employeurs, de prendre toutes les mesures d’hygiène mentionnées à l’article 2, cité au point 8, du décret du 23 mars 2020.
11. D’une part, le moyen tiré de ce qu’en laissant se poursuivre l’activité des entreprises de la métallurgie, notamment sous la condition rappelée au point 10, le gouvernement aurait porté au droit au respect de la vie et au droit à la protection de la santé une atteinte grave et manifestement illégale ne peut qu’être écarté.
12. D’autre part, il résulte de l’instruction que pour prendre en compte les risques spécifiques résultant de l’épidémie actuelle pour les travailleurs des entreprises, notamment de la métallurgie,
-le ministère du travail a élaboré et diffusé des recommandations pour aider les entreprises dans la mise en œuvre des mesures d’organisation du travail rendues nécessaires, certes sans élaborer de guide spécifique à la métallurgie, la priorité ayant été donnée aux entreprises accueillant du public, et le travail de déclinaison des consignes générales ne pouvant être effectué de manière utile que dans chaque entreprise,
-les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) et les services d’inspection du travail ont reçu des instructions pour adapter leur action aux circonstances exceptionnelles résultant de l’épidémie,
-les services de santé au travail ont vu leurs pouvoirs accrus en matière de lutte contre le covid-19 par l’article 1er de l’ordonnance du 1er avril 2020 adaptant les conditions d'exercice des missions des services de santé au travail à l'urgence sanitaire et modifiant le régime des demandes préalables d'autorisation d'activité partielle, aux termes duquel « les services de santé au travail participent à la lutte contre la propagation du covid-19, notamment par : 1° La diffusion, à l'attention des employeurs et des salariés, de messages de prévention contre le risque de contagion ; 2° L'appui aux entreprises dans la définition et la mise en œuvre des mesures de prévention adéquates contre ce risque ; 3° L'accompagnement des entreprises amenées, par l'effet de la crise sanitaire, à accroître ou adapter leur activité »,
-la même ordonnance, par son article 2, a qualifié les médecins du travail pour « prescrire et, le cas échéant, renouveler un arrêt de travail en cas d'infection ou de suspicion d'infection au covid-19 ou au titre des mesures de prévention prises en application de l'article L. 16-10-1 du même code », ce dernier article visant les « cas de risque sanitaire grave et exceptionnel, notamment d'épidémie », ainsi que pour « procéder à des tests de dépistage du covid 19 selon un protocole défini par arrêté des ministres chargés de la santé et du travail », le décret d’application relatif aux arrêts de travail, dont le projet a été versé au contradictoire à l’issue de l’audience, devant intervenir sous quelques jours, et le protocole pour le dépistage devant être élaboré lorsque la nature des tests à mettre en œuvre sera précisée.
13. D’une façon générale, les institutions représentatives du personnel peuvent faire usage de leur pouvoir d’alerte, au sujet duquel le représentant de la ministre du travail a précisé à l’audience que la liberté de déplacement des élus du personnel et des délégués syndicaux était garantie dans le cadre des exceptions fixée par le décret du 23 mars 2002, les DIRECCTE disposent, en vertu de l’article L. 4721-1 du code du travail, du pouvoir d’adresser à l’employeur une mise en demeure en cas de méconnaissance de ses obligations rappelées au point 9, pouvoir qu’elles ont mis en œuvre une vingtaine de fois depuis le début de l’état d’urgence sanitaire et les inspecteurs du travail tiennent de l’article L. 4731-1 du même code la faculté de saisir le juge judiciaire statuant en référé pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser les manquements constatés, faculté dont ils ont déjà usé depuis le début de la crise sanitaire. Par ailleurs, il résulte de l’instruction que des guides professionnels ont été diffusés et doivent être déclinés localement et dans les entreprises, pour fixer la marche à suivre dans l’adaptation de l’organisation du travail et la mise en œuvre des mesures de protection des salariés.
14. Compte tenu de l’ensemble des dispositions, pérennes ou exceptionnelles, et des mesures déjà prises, rappelées aux points 12 et 13, il n’apparaît pas, en l’état de l’instruction, de carence des autorités publiques portant manifestement atteinte aux libertés fondamentales invoquées et justifiant que soit ordonnée la mise en œuvre des mesures sollicitées par la fédération requérante en termes d’édiction d’instructions supplémentaires aux employeurs, de capacité d’intervention des services de l’Etat ou de contrôle par ces derniers de la mise en œuvre effective des mesures qu’il incombe aux employeurs de prendre notamment au titre de leur obligation de sécurité.
15. Enfin, s’agissant de la demande de mise à disposition de vingt masques de protection par salarié et par semaine, les représentants de l’Etat ont rappelé à l’audience la stratégie adoptée par le gouvernement, consistant à assurer en priorité, dans un contexte de forte tension, la fourniture des masques disponibles aux établissements de santé, aux EHPAD, aux établissements médico-sociaux, aux services d’aide et de soins à domicile et aux transports sanitaires, l’utilisation de masques chirurgicaux dans la population non malade n’étant pas retenue en l’état actuel des données scientifiques et des stocks disponibles. Le ministre des solidarités et de la santé et le ministre du travail font cependant valoir que deux nouvelles catégories de masques anti-projection à usage non sanitaire ont été créés, d’une part, à destination des professionnels en contact avec le public, d’autre part, à destination des professionnels ayant des contacts avec d’autres personnes dans le cadre professionnel, dont il a été précisé à l’audience que la production avait commencé afin qu’ils soient mis le plus rapidement possible sur le marché. Dans ces conditions, l’absence de distribution systématique de masques aux salariés ne révèle pas, compte tenu des moyens dont dispose l’administration et des mesures qu’elle a déjà mises en œuvre, de carence grave et manifestement illégale.
16. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition d’urgence, la requête doit être rejetée, ainsi que ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Il en est de même des conclusions présentées par l’UIMM au titre de ce même article.
O R D O N N E :
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Article 1er : L’intervention de l’Union des industries et métiers de la métallurgie est admise.
Article 2 : La requête de la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT est rejetée.
Article 3 : La demande présentée par l’Union des industries et métiers de la métallurgie au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative est rejetée.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT, au ministre des solidarités et de la santé, à la ministre du travail et à l’Union des industries et métiers de la métallurgie.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre de l’économie et des finances.