Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 8 février 2018), l'assemblée générale de la société anonyme Société internationale de transit (la société SIT), dont le capital est détenu à concurrence de 54 % par M. Q... C..., 43,36 % par M. K... C..., 2,52 % par M. K... C... et 0,12 % par Mme C... épouse J..., a, par sa troisième résolution adoptée le 26 juin 2014, décidé d'affecter la somme de 550 346 euros aux réserves.
2. Estimant que cette décision était constitutive d'un abus de majorité, M. K... C... a assigné M. Q... C..., M. K... C..., Mme C... épouse J... (les consorts C...) et la société SIT notamment en annulation de la troisième résolution de l'assemblée du 26 juin 2014 et en condamnation de la société SIT à lui payer une provision d'un montant de 500 000 euros à valoir sur sa participation aux bénéfices.
Examen du moyen unique
Sur le moyen, pris en ses cinquième et huitièmes branches
Enoncé du moyen
3. Les consorts C... et la société SIT font grief à l'arrêt d'annuler, pour abus de majorité, la troisième résolution de l'assemblée générale du 26 juin 2014 alors :
« 1°/ que l'abus de majorité suppose que soit cumulativement caractérisée une atteinte portée à l'intérêt social par la décision adoptée ainsi qu'une rupture d'égalité entre des actionnaires ; que la décision litigieuse doit donc avoir été prise dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité ; qu'en retenant uniquement que, "en privant M. K... C... sans justification au regard de l'intérêt social de son droit au bénéfice, et alors qu'aucun dividende n'avait été distribué depuis de nombreuses années, les actionnaires constituant le groupe majoritaire de la société SIT ont commis à l'encontre de M. K... C..., actionnaire minoritaire détenant 43,36 % des actions, un abus de majorité", sans expliquer, comme elle y était pourtant invitée, en quoi l'absence de distribution de dividendes faisant suite à la mise en réserve litigieuse favorisait les seuls associés majoritaires, tandis que cette absence concerne tous les associés, minoritaires comme majoritaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, dans sa version alors applicable, désormais l'article 1240 du même code ;
2°/ que l'abus de majorité suppose que soit cumulativement caractérisée une atteinte portée à l'intérêt social par la décision adoptée ainsi qu'une rupture d'égalité entre des actionnaires ; que la décision litigieuse doit donc avoir été prise dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité ; qu'en retenant uniquement que, « en privant M. K... C... sans justification au regard de l'intérêt social de son droit au bénéfice, et alors qu'aucun dividende n'avait été distribué depuis de nombreuses années, les actionnaires constituant le groupe majoritaire de la société SIT ont commis à l'encontre de M. K... C..., actionnaire minoritaire détenant 43,36 % des actions, un abus de majorité », sans expliquer, comme elle y était pourtant invitée, en quoi l'absence de distribution de dividendes intervenant suite à la mise en réserve litigieuse se faisait au détriment des seuls associés minoritaires, tandis que cette absence concerne tous les associés, minoritaires comme majoritaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, dans sa version alors applicable, désormais l'article 1240 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
4. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
5. Pour annuler la troisième résolution de l'assemblée générale du 26 juin 2014, l'arrêt, après avoir énoncé que la mise en réserve systématique, pendant de nombreuses années et sans projet d'investissement ou nécessité de gestion, des bénéfices d'une société est susceptible de caractériser un abus de majorité, lorsqu'elle a pour effet de priver les actionnaires minoritaires de leur droit aux dividendes, retient que la vocation d'une société ayant une activité foncière est, en principe, de procurer un revenu périodique aux associés.
6. Relevant ensuite que la société SIT, qui a pour activité la gestion d'un patrimoine immobilier, n'a pas de crédit en cours ni de projet d'investissement, l'arrêt retient que si une gestion prudente peut justifier la constitution de réserves au regard de l'éventualité d'une vacance prolongée des biens, les justifications avancées à cet égard par les consorts C... en des termes très généraux et exempts de chiffrage ne permettent pas de rendre compte de la légitimité de la mise en réserve litigieuse, cependant que les réserves de la société s'élèvent déjà à la somme de 624 284 euros.
7. L'arrêt relève encore que les biens immobiliers appartenant à la société SIT sont donnés en location à une vingtaine de locataires différents et que le plus important des deux biens appartenant à la SCI Les Mûriers, sa filiale, est loué au conseil régional, ce dont il déduit que la nécessité de se prémunir contre un risque de vacance massif et subi doit être fortement relativisée et ne peut justifier la constitution de réserves représentant plus de cinq fois le montant des charges externes de la société.
8. L'arrêt constate, enfin, que les disponibilités de la société s'élevaient, au 31 décembre 2013, à la somme de 744 249 euros, à rapprocher du montant des valeurs mobilières de placement, qui n'est que de 6 106 euros.
9. L'arrêt déduit de l'ensemble de ces énonciations, constatations et appréciations que la politique de mise en réserve suivie par la société SIT est une politique de pure thésaurisation, contraire à l'intérêt social, et qu'en privant ainsi M. K... C... de son droit au bénéfice, cependant qu'aucun dividende n'avait été distribué depuis de nombreuses années, les actionnaires majoritaires ont commis un abus.
10. En se déterminant ainsi, sans expliquer en quoi la résolution litigieuse avait été prise dans l'unique dessein de favoriser les consorts C... au détriment de M. K... C..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement, il déclare le tribunal de commerce incompétent pour connaître du litige successoral opposant les parties et rejette la demande d'annulation de l'assemblée générale du 23 juin 2013, l'arrêt rendu le 8 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne M. K... C... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. K... C... et le condamne à payer à M. Q... C..., à M. K... C..., à Mme C... épouse J... et à la société SIT la somme globale de 3 000 euros.